En Côte d’Ivoire, l’environnement socio-politique et la gouvernance démocratique demeurent fragiles dans de nombreuses localités, plus d’une décennie après la crise post-électorale de 2010 qui a fait officiellement plus de trois mille morts. La faible participation de la population à la gestion des affaires publiques, couplée à la persistance de tensions autour des modalités de désignation de certaines autorités coutumières ou politiques, et à un sentiment d’abandon et de défiance à l’égard de certaines autorités gouvernementales, constituent un terreau fertile pour la manipulation politique de conflits et tensions latentes au sein des communautés.
Ce risque est particulièrement accru lors des échéances électorales. A l’occasion des élections locales (municipales et régionales du 13 octobre 2018) et de l’élection présidentielle du 31 octobre 2020, des confrontations violentes au sein de la population ont eu lieu. Dans certaines localités, en plus de ces tensions, des accusations de pression, de manipulation du processus électoral et de falsification des résultats ont été formulées entre partisans. Du fait du manque d’encadrement de mécanismes de gouvernance démocratique locale, souvent fragilisés, ces cycles de violence politique et électorale prennent encore plus d’ampleur.
Face à ces menaces pour la paix et la cohésion, Indigo Côte d’Ivoire et Interpeace, ont réalisé, avec l’appui technique de leur partenaire SeeD (Centre for Sustainable Peace and Democratic Development), un processus de consultations et une enquête dénommée SCORE, à l’effet d’analyser les déterminants clés et les leviers de prévention de la violence politique dans le pays.
Parmi les messages clés issus de cette recherche, « la vulnérabilité d’une localité aux phénomènes de violence politique s’illustre par un contexte où les communautés ont tendance à se replier sur elles-mêmes et éviter de s’intégrer aux autres ».
Ces contextes sont identifiables par le caractère peu apaisé des interactions quotidiennes entre les groupes sociaux (politiques, religieux, ethniques) et le passage aisé d’évènements « anodins » (par exemple lors d’un match de football ou d’un accident de voiture) à un conflit intergroupe. Cette dynamique aboutit à une fragilisation du lien social entre les communautés qui les prédispose à la confrontation violente.
Face à ces constats des Cadres de collaboration (CDC) ont été mis en place. Cette ingénierie de gouvernance collaborative citoyenne des initiatives de prévention et de gestion des conflits au niveau local a permis d’obtenir des résultats satisfaisants, par exemple une absence de violence observée pendant les élections municipales, sénatoriales et régionales en 2023, dans les zones de mise en œuvre du projet.
A Béoumi (au centre de la Côte d’Ivoire), par exemple, la mise en place du CDC a été marquée par un contexte de grande méfiance entre les communautés. Cependant, grâce à leurs actions, les premiers membres du cadre de collaboration, essentiellement composé de membres influents d’une seule communauté, sont arrivés à intégrer des membres des autres communautés dans ce dispositif Ils y sont parvenus en démarchant des acteurs pertinents et influents en vue de faciliter la participation des autres communautés aux initiatives de rapprochement communautaire; ces derniers ont par la suite été invités aux différents ateliers et sessions de dialogue avec le CDC, ce qui a facilité leur adhésion. Grace à cette stratégie, le cadre a une coloration hétérogène et intercommunautaire et mène désormais des activités dans les différents quartiers de la localité.
De même, la ville de Divo (sud du pays), qui s’illustrait par des affrontements intercommunautaires à chaque élection, qu’elle soit locale ou nationale, a pu gagner le pari de ‘’ Zéro violence ‘’ lors du dernier scrutin.
« Au niveau de Divo, notre CDC est assez jeune puisqu’il date de mars 2023. Mais avant cela, la ville de Divo a été marquée par une succession de conflits post-électoraux. Et ces conflits sont restés marqués dans la mémoire collective. De sorte qu’on a atteint un pic de violence en août 2020 (élection présidentielle) qui a occasionné des pertes en vies humaines (…). Il y avait une certaine polarisation entre les autochtones et non autochtones. Le CDC a initié un certain nombre d’action auprès de ces personnes-là qui étaient fortement impliquées dans les violences de 2020. Il y a eu des causeries débats avec les femmes qui ont aussi participé de manière active aux conflits et aussi une rencontre avec les jeunes. Cela nous a énormément aidé car cette année les élections régionales et municipales se sont déroulées dans la paix. Le CDC a rencontré les candidats politiques et états-majors et ceux-ci se sont impliqués dans cette dynamique de paix. Ils ont pris la résolution de parler à leurs militants pour que cette année les élections se déroulent dans de bonnes conditions et c’est ce qui a été fait », estime le sous-préfet de Divo.
Plusieurs autorités administratives de la région ont fait le vœu de voir s’installer un Cadre de collaboration dans leurs circonscriptions. Et de fait, à l’orée de l’élection présidentielle de 2025, un besoin important de passage à échelle et de renforcement de ces structures et mécanismes de prévention au sein des zones les plus affectées lors des précédents cycles électoraux semble nécessaire, comme exprimé par les parties prenantes. L’objectif est de prévenir durablement la transformation de divisions entre partisans de différents dirigeants politiques en conflits communautaires..
La ministre ivoirienne de la cohésion nationale, de la solidarité et de la lutte contre la pauvreté, LOGBOH Myss Belmonde DOGO, l’exprimait ainsi lors de la clôture du projet : « Au moment où s’achève le projet et à l’aune de l’élection de 2025, l’anticipation doit être le maître-mot. Nous devons presser le pas pour ne pas agir seulement à la veille des échéances et engranger des résultats positifs. C’est pourquoi, j’invite Interpeace, Indigo, SeeD et les autres acteurs à bâtir avec nous l’avenir. (…) Il est important de pouvoir étendre cette ingénierie de gouvernance collaborative et citoyenne au-delà des localités qui en ont déjà bénéficié, parce que les résultats démontrent que c’est une approche qui peut permettre vraiment de réduire la violence et les conflits de manière durable et surtout à travers l'engagement et l’appropriation de tous », a-t-elle affirmée.
La cheffe de la délégation de l’Union européenne en Côte d’Ivoire, l’ambassadrice Francesca Di Mauro, est du même avis : « Nous avons tous en ligne de mire les prochaines élections, notamment présidentielle, qui suscitent beaucoup d’engouement et de ce fait peuvent présenter potentiellement des risques. Ce contexte général éveille notre attention et nous interpelle tous sur notre responsabilité et notre rôle pour [nous] assurer que le jeu démocratique et l’animation de la vie politique, ne soient pas des opportunités de violence, mais bien des moments de dialogue pour construire une société harmonieuse et paisible ».
En adéquation avec ces orientations, l’une des principales recommandations de cette enquête est la mise en place, à court terme, d’un outil barométrique permettant un système d’alerte et de réponse précocesur la base des résultats de l’analyse SCORE, allant de pair avec une mise à l’échelle des cadres de collaboration sur l’ensemble du territoire ivoirien.
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